L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge toute parfaite, sans défauts, et néanmoins ignorante dans la perte de son Fils. Cette ignorance de Marie et de Joseph, au sujet du lieu où se trouvait Jésus, peut être comparée au soleil qui, sans rien perdre de sa splendeur, souffre une éclipse. Vous voilà donc, ô Sainte Vierge ! dans une espèce d’éclipse, puisque, étant de retour dans votre maison avec votre cher époux, le Soleil de justice en étant absent, vous ne trouvâtes que ténèbres. Vous croyiez Jésus avec Joseph ; Joseph croyait Jésus avec Marie. Ô Marie et Joseph ! que cette ignorance du lieu où était votre Jésus vous a paru dure ! Vous pouviez bien dire avec le prophète : Le Seigneur a fait cela et me l’a célé ! Ô mon âme ! apprenons aujourd’hui à ne craindre aucune perte que celle de Jésus : car qui le perd a tout perdu. L’ignorance de Marie a été une ignorance de Providence, de sanctification et de mystère, et non d’imperfection.

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge et saint Joseph durant les trois jours de leur douleur et de leurs recherches. Que les dévots de la Sainte Vierge ont bien raison de compter la perte de l’Enfant-Jésus au Temple pour l’une des plus grandes douleurs de Marie et de Joseph ! Honorez ces cœurs angoissés pour un si digne sujet ; humiliez-vous profondément dans la connaissance que vous avez de vos défauts : la perte d’un bien terrestre, d’une chétive consolation, vous fait plus de déplaisir et d’angoisses sensibles que l’absence du bon Jésus ! La Sainte Vierge l’avait perdu, non par sa faute, mais par un mystère caché dans le secret de la divine Providence. Nous le perdons par notre malice et perfidie. Ô trois jours de douleur et d’angoisse de Marie, que vous me donnez d’instruction, de confusion et de lumière pour ma conduite !

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge et saint Joseph et les suivez dans la soigneuse recherche qu’ils faisaient de leur trésor caché au Temple ; ils s’en enquéraient vers tous leurs parents et amis. Ô Marie ! Ô sainte Épouse ! vous cherchiez votre Bien-Aimé jour et nuit ! Vierge si sainte et si retirée, vous voilà parmi les places publiques et les carrefours ; toute votre angoisse est de savoir si l’on n’a point vu Celui que votre âme aime ! Saint Joseph pouvait dire comme son grand-père David : Je ne donnerai point de repos à mon cœur, point de sommeil à mes yeux, point de fin à ma recherche que je n’aie trouvé mon Jésus ! Ô Marie ! Ô Joseph ! innocents affligés de l’absence du Sauveur, faites-moi part de votre vigilance à le chercher, lorsque je reconnaîtrai d’avoir perdu sa grâce ou sa présence !

Réjouissez-vous aujourd’hui avec la Sainte Vierge et saint Joseph sur la joie qu’ils reçurent en entrant au Temple, et en y envisageant, au milieu des anciens docteurs de la loi, leur cher Jésus, enfant de douze ans, lequel, interrogeant et instruisant, paraissait le Docteur des docteurs. Ô mon Jésus ! c’est dans votre temple où, à l’imitation de Marie, je vous dois aller chercher, Docteur de Justice, Ancien des jours, Fils de l’Éternel, Maître du divin Amour ! c’est dans l’Église et sur le trône de l’autel que je dois vous chercher dans votre Saint-Sacrement ; c’est où la foi vous trouve après que l’espérance et les désirs vous ont cherché et où l’amour vous possède. Il semble que l’Enfant-Jésus n’ait en rien voulu être dissemblable de ses serviteurs, puisqu’il s’est mis dans l’occasion de recevoir une admonition maternelle.

Écoutez et honorez aujourd’hui la plainte et l’admonition maternelle de Marie à Jésus : Mon Fils, dit-elle, que nous avez-vous fait ? Joseph, votre père, et moi, vous cherchions avec anxiété et affliction ! Ô Sainte Vierge ! que je suis aise de vous entendre parler avec cette autorité maternelle à l’Homme-Dieu ! Ah ! que voilà une grande preuve de votre Virginale Maternité ! Saint Joseph, dans le respect et la retenue d’un beau-père, ne dit mot ; mais vous, ô véritable Mère ! vous parlez avec une autorité respectueuse et qui marque néanmoins un pouvoir absolu ! Vous n’avez jamais exagéré ni usé d’hyperbole, donc cette expression de votre douleur était un naïf et véritable sentiment de votre Cœur maternel.

Adorez et honorez aujourd’hui l’obéissance de Jésus à sa sainte Mère. Il lui répond, comme Fils du Père éternel, qu’il fallait qu’il s’occupât aux affaires de son Père céleste ; mais, pour prouver qu’il était aussi véritable Fils de Marie, il descend de sa chaire, il quitte son action doctorale, et, suivant Marie et Joseph, il s’en retourne avec eux à Nazareth. Oh ! dit saint François de Sales, dans le ciel toutes les vierges suivront l’Agneau ; mais, en terre, quels admirables vierges sont Marie et Joseph, que l’Agneau suit lui-même ! Mon Dieu ! que de leçons pour mon âme dans cette promptitude du bon Jésus à quitter tout pour l’obéissance et l’intention de sa sainte Mère ! Il les a lues dans son Cœur et dans ses yeux, car elle ne lui a point parlé pour lui commander de s’en revenir avec elle, et néanmoins il suit son intention, quitte le discours et s’en va.

Honorez aujourd’hui le retour de Jésus, Marie et Joseph à Nazareth, mais adorez les paroles du saint Évangile que Jésus était en tout sujet et obéissant à Marie et à Joseph. Donc on lui commandait, donc il ne faisait rien qu’avec dépendance, et, comme dit notre Père saint François de Sales, Jésus-Christ a tant aimé l’obéissance qu’il a conduit tout le cours de sa vie par obéissance, et il n’est point possible de s’imaginer un modèle d’obéissance, ni de commandement plus accompli ni plus instructif et sanctifiant que l’obéissance et le commandement qui se pratiquait à Nazareth entre Jésus, Marie et Joseph.

Appliquez-vous aujourd’hui à ruminer les dernières paroles du second chapitre de saint Luc : que la Sainte Vierge, ayant ramené Jésus de Jérusalem à Nazareth et voyant sa soumission, gardait toutes ses paroles en son Cœur, et que Jésus profitait en âge, en grâce et en sagesse, devant Dieu et les hommes. Ô Jésus ! votre accroissement était à notre profit et à notre égard ; car vous êtes, dès l’éternité, la Sapience éternelle, l’Abîme et le Centre des grâces ; mais l’amour, qui vous a fait paraître petit, vous veut encore faire paraître croissant. Ah ! Marie ! Ah ! Joseph ! je prétends à l’honneur d’être votre fille, mais je ne vous donne pas le plaisir de me voir croître en vertus ; au contraire, mon infidélité vous ôte la gloire et la joie que vous auriez de me voir profiter en la perfection, et même mon infidélité est cause que je ne garde point en mon cœur ce que j’apprends de vous.

Nous voici arrivés aujourd’hui à la plus grande solitude de Jésus, Marie et Joseph, puisque le saint Évangile ne nous apprend aucune chose de tout ce qui se fit et se dit dans cette précieuse maison de Nazareth, l’espace de dix-huit ans. Ah ! mon Dieu, le long silence pour la Parole éternelle ! la longue et heureuse solitude de Jésus, Marie et Joseph ! Elle est tellement couverte du voile d’une vie cachée que le ciel et la terre n’en disent mot. C’est bien ici, ô mon Jésus ! que je vous dois nommer un Dieu caché, et dans un âge et dans un temps où la jeunesse a le plus de penchant et de plaisir à se produire, de s’épancher et de se faire valoir ! Ô Jésus, Marie, Joseph, cachez-moi dans votre vie cachée, ouvrez-moi les sentiers de votre divine solitude, et soyez l’entretien de mes pensées, l’unique point de ma méditation et l’amour et joie de mon cœur, dans l’absence et la séparation des créatures.

Destinez ce jour à honorer l’ineffable silence que Jésus, Marie et Joseph ont gardé à Nazareth l’espace de dix-huit ans. On ne parlait presque point dans cette auguste Famille ; le cœur et les yeux apprenaient toutes choses par impression d’amour, et l’obéissance était toujours jointe à la connaissance des volontés réciproques entre Jésus, Marie et Joseph, sans qu’il fût jamais besoin de réitérer ou de répliquer ; ce qui m’apprend que les âmes dissipées et grandes parleuses ne sont point du tout propres à être domestiques dans la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph. Nous avons sur nos autels le même Jésus, qui était le Dieu caché à Nazareth ; nous devons donc, pour le respect de sa sainte Présence, affectionner singulièrement le silence, la modestie, la vie cachée et solitaire.