L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Servons-nous, en ce sixième jour du voyage d’Égypte, de la dévote pensée de saint François de Sales, qui dit que la sacrée Vierge et saint Joseph portaient quelquefois à rechange le doux Jésus entre leur bras dans la fatigue du chemin. Ah ! c’est bien à cette heure que nous devons saluer ces Vierges, Époux et Épouse, sous le très-auguste titre de Porte-Christ et de Sauveurs du Sauveur du monde ! Disons plusieurs fois aujourd’hui à Marie ce mot d’amour : Mater Salvatoris, Mère du Sauveur, qui sauvez le Sauveur, priez pour nous.

Faisons réflexion, en ce septième jour du voyage d’Égypte, sur l’ancienne coutume, admise universellement dans l’Église, de représenter la sacrée Vierge assise sur un âne, le petit Jésus entre ses bras et saint Joseph, qui suit ou qui précède ces divins Voyageurs, chargé des outils de charpenterie. Adorons et admirons cet abaissement du Roi de gloire ! Où est l’équipage de Salomon et de la reine de Saba ! Hélas ! l’un et l’autre n’étaient que de la poussière, des atomes et des néants auprès de Jésus, Marie, Joseph. Apprenons à mépriser les grandeurs du monde et à ne point mépriser ceux qui paraissent pauvres et simples. Suivant de cœur et de pensée Jésus, Marie, Joseph, dites : « En vérité, il y a ici plus que Salomon, il y a ici une plus grande reine que celle de Saba, un prince et un gouverneur plus estimable que l’ancien Joseph ; mais c’est un roi, une reine et un ministre d’État d’un nouveau royaume que le monde ne connaît pas. »

Entrons, en ce huitième jour du voyage d’Égypte, dans les dispositions merveilleuses de l’intérieur de la Sainte Vierge, sur les fatigues qu’elle entreprend, par les ordres du ciel, dans un pays éloigné, barbare, sans commodités, sans connaissance de parents et d’amis. Apprenons, par son exemple, à ne refuser aucun lieu ni aucun emploi que l’obéissance nous donne, et à nous confondre, si nous avons quelquefois voulu changer le lieu et l’occupation que Dieu nous avait prescrits par nos Supérieurs ; soyons persuadées que l’assurance de notre salut n’est pas à faire tout ce que nous voulons, ni à demeurer au lieu que nous aimons, mais à faire la Volonté de Dieu et à rester où il nous veut, car il sait mieux ce qu’il nous faut que nous ne le savons nous-mêmes. Considérons aussi les réflexions affligeantes de la Mère de Jésus sur la cruauté et l’ambition d’Hérode, qui met tout en usage pour trouver ce divin Enfant et pour s’en défaire. Ô Dieu, qui faites la joie et la béatitude des Anges, qu’avez-vous fait qui puisse déplaire aux hommes et qui les oblige de vous chercher jusqu’au berceau pour vous massacrer ? Quoi donc ! faut-il qu’étant descendu du ciel pour nous rappeler de l’exil vous ayez été obligé d’y aller vous-même !

Le neuvième jour du voyage d’Égypte, admirons la douceur et la soumission de jugement de la sacrée Vierge et de saint Joseph dans ce voyage. Ils l’ont entrepris sans avoir représenté à l’Ange que les Égyptiens étaient ennemis des Israélites depuis leur sortie et la défaite de Pharaon dans la mer Rouge ; que, voulant leur faire éviter un ennemi, il les jetait entre les mains de dix mille, et tous les jours dans des périls évidents. Apprenons de ceci l’anéantissement de nos propres pensées et raisonnements humains, et, sans faire toutes ces réflexions d’amour-propre, suivons simplement l’inspiration et la direction d’un homme donné de Dieu, tel qu’est notre saint Fondateur.

Honorons en ce dixième jour du voyage d’Égypte, la pauvreté de ces augustes Voyageurs. Hélas ! ce Roi, cette Reine, ce grand Ministre du royaume de Dieu, n’ont ni train, ni fourrier, ni maréchal de logis, ni maître d’hôtel, ni écuyer, ni valet de pied ; s’ils ont une garde et une avant-garde, c’est la garde invisible des Anges. Apprenons à nous confier aux Anges quand nous nous méfions avec fondement des hommes, nos ennemis. Ne les craignons jamais quand nous aurons avec nous Jésus, Marie, Joseph ; car les Anges nous accompagneront, et nous pourrons dire avec le Prophète : Ceux qui sont pour nous sont en plus grand nombre que ceux qui sont contre nous.

Considérons et admirons, en cette onzième journée du voyage d’Égypte, l’infinie bonté de Dieu, qui, ayant fait mourir tous les premiers-nés des Égyptiens en la sortie des enfants d’Israël, leur donne maintenant son Fils unique pour réparer cette perte, et leur envoie la Sainte Vierge et la grand saint Joseph. Soyons assurés qu’on ne perd jamais rien avec Dieu, et que si nous égorgeons toutes nos affections déréglées, représentées par les premiers-nés d’Égypte, nous possèderons les richesses du ciel ; Jésus se donnera à nous, la Sainte Vierge et saint Joseph nous assisteront de leur puissante intercession.

Nous pourrons considérer, en cette douzième journée du voyage d’Égypte, que comme la sacrée Vierge et Jésus-Christ, son Fils, s’en allèrent de la Judée parmi les Gentils, tels qu’étaient les Égyptiens, de même le Royaume de Dieu fut transféré du peuple juif au peuple gentil, par le secret jugement de Dieu. Apprenons de cet exemple à craindre qu’abusant des grâces que Dieu nous fait continuellement par l’entremise de la Sainte Vierge, il ne nous en prive et ne les donne à de grands pécheurs qui, y coopérant plus fidèlement, se sauveront pendant que nous, nous pourrons nous damner ; car il n’y a pécheur, pour endurci qu’il soit, qui ne puisse devenir un grand saint si Jésus et Marie le visitent. Oh ! qu’il y a sujet de craindre que plusieurs âmes religieuses ne se perdent par l’abus qu’elles font des grâces, lorsqu’elles négligent la pratique de leur Règle, les bons exemples et les avis charitables qu’on leur donne !

Honorons en ce treizième jour de voyage en Égypte le dénûment de la sacrée Vierge. Hélas ! ne dut-elle pas se souvenir que treize jours après la naissance de son Fils les rois l’étaient venus chercher ; ils avaient une étoile lumineuse qui les guidait visiblement, et, comme chante l’Église, la lumière cherchait la Lumière. Mais, ô Marie, Reine du ciel et de la terre, qui est-ce qui vous guide ? Hélas ! ô belle Aurore, vous avez produit le Soleil de justice ; mais il semble éclipsé, et si cette Lumière va dans les ténèbres, ce n’est pas pour les éclairer. On peut dire de cette nation qu’en voyant elle n’a pas vu, qu’en entendant elle n’a pas entendu. Vous êtes, saints Voyageurs, dénués dans votre voyage de tout soulagement humain, et même vous êtes sans espérance d’en trouver où Dieu vous envoie.

Nous voici à la quatorzième journée du voyage ; il faut adorer les saintes dispositions intérieures de la Vierge sacrée, jetant ses premiers regards sur l’Égypte. Cette Étoile de Jacob, cette sainte Fille de Sion, voyait son Fils et son Sauveur regarder de ses yeux pleins de larmes d’amour cette terre, cette contrée pécheresse et ennemie, pour laquelle il n’avait que des pensées de paix et de miséricorde. Oh ! qu’elle eût pu dire : Lumen ad revelationem gentium. Ah ! s’il vous plaisait, mon Dieu et mon cher Fils, d’illuminer ces gentils, ce serait accomplir le triomphe que les Israélites, vos aïeux, eurent autrefois sur eux. Souhaitons ardemment la conversion des pécheurs et des hérétiques, offrons à Dieu pour cela nos travaux et nos souffrances, nos larmes mêmes et notre sang, si c’est la Volonté de Dieu.