L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge dans la douleur qu’elle eut, sachant saint Pierre, le chef de l’Église, et saint Jean, son fils adoptif, emprisonnés après l’Ascension du Sauveur. Cette Vierge sacrée avait déjà soutenu la première persécution d’un tyran dans l’enfance de l’Homme-Dieu ; il fallait qu’elle soutînt aussi les travaux et les persécutions des tyrans de l’Épouse de son Fils, la sainte Église, encore dans son berceau et dans son commencement. Cette Sainte Vierge ne s’empressait pas pour faire sortir ces deux Apôtres de prison ; elle ne s’affligeait point de savoir les deux plus chers disciples de son Fils fouettés par la ville ; mais son Cœur maternel se réjouissait de les savoir joyeux et contents dans leur persécution. Enseignez aujourd’hui à mon cœur, sacrée Vierge, à me réjouir de la patience de mes amis, souffrant innocemment et patiemment d’être maltraités comme ces premiers enfants de Jésus et de Marie, pour aimer mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, sans jamais se désister de l’œuvre du Seigneur par la crainte des jugements humains.

Honorez aujourd’hui la sacrée et solitaire Marie, en considérant que sa plus spéciale conversation fut avec saint Jean, son fils adoptif, qui lui avait été donné par Jésus-Christ en la Croix. Cette vérité est tirée de ce que le même saint Jean dit dans son Évangile : Dès que Jésus mourant eut donné sa douce Mère Marie à Jean, il la prit et la tint pour sienne, c’est-à-dire que jamais il ne démentit cette excellente filiation ; qu’il servit la sacrée Vierge, l’honora et lui tint compagnie autant qu’il put et qu’elle lui voulut permettre, sans préjudice de la prédication. Promettez aujourd’hui à la Mère de Dieu la même fidélité. Hélas ! rien ne nous empêche, au contraire, tout nous convie d’être vrais enfants de la Vierge, de l’honorer perpétuellement et de converser intérieurement avec sa maternelle bonté. Notre infidélité seule nous retire d’auprès d’une si bonne Mère.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge, recevant amiablement dans sa solitude les néophytes et nouveaux convertis de l’Église naissante, pour les affermir en la foi et dévotion à Jésus-Christ ; mais, surtout, voyez comme elle reçoit sainte Madeleine, à laquelle, comme dit notre Père saint François de Sales, elle ne refusa jamais sa compagnie et sa conversation, non plus qu’aux autres femmes dévotes. Ô Marie ! apprenez-moi à converser avec les amateurs de votre adorable Fils ; enseignez-moi le respect et la charité qu’il faut avoir pour les âmes converties. Ah ! dit saint François de Sales, l’Immaculée et incomparable Vierge Mère de Dieu ne fit jamais la douillette ni la renchérie de converser avec sainte Madeleine, et cela, ajoute ce Saint, parce que Marie était non-seulement parfaitement vierge, mais parfaitement humble. Dans cet esprit, elle reçut saint Paul et saint Denis l’Aréopagite, qui proteste qu’ayant vu Marie, s’il n’eût été bien affermi dans la foi, il l’aurait prise pour une divinité.

Honorez aujourd’hui Marie, qui, selon la pensée de ses dévots, communiait tous les jours de la main de saint Jean ou de celle de quelques autres prélats. Elle ne recevait pas un autre Jésus que celui que nous recevons ; mais elle communiait toujours avec la même humilité et ardeur que le jour où le Verbe entra en elle et se fit chair. Elle avait tous les jours une plus profonde connaissance de ce bien inestimable, et, comme dit notre Père saint François de Sales, cette super-sainte âme se fondait tous les jours dans une nouvelle fournaise d’amour et de charité, et renouvelait à chaque communion son oblation et son sacrifice.

Réjouissez-vous aujourd’hui avec la sacrée Vierge de ce que jamais elle n’a eu besoin de la grâce du Sacrement de confession pour communier, parce que jamais elle ne pécha. Toute sa préparation à la sainte Communion n’était qu’union et qu’amour ; représentez-lui votre misère, vos chutes et rechutes perpétuelles ; demandez-lui, par son impeccabilité, la clarté sur vos fautes, la facilité à vous accuser, le regret de vos péchés, la ferme résolution de vous corriger et la constance dans ce bon propos.

Considérez aujourd’hui qu’entre les conversations que la sacrée Vierge a eues avec les disciples de Jésus-Christ depuis l’Ascension, celle qui doit être la plus douce à notre piété, c’est celle qu’elle a faite avec le glorieux saint Luc, que nous pouvons appeler le secrétaire de Marie et son peintre, selon l’Évangile. « Je vous rends grâces, ô sacrée Vierge ! de la maternelle communication que vous avez faite à toute l’Église, par la plume de cet auguste secrétaire, de ce qui se passa de plus intime entre l’Ange et vous, et encore dans l’Incarnation, dans la Visitation et dans la naissance du Sauveur. » Ah ! qu’il faisait bon voir cette sainte Vierge dans cette divine communication ! qu’il faut prendre aujourd’hui une tendre dévotion à ce cher secrétaire de la Reine du ciel et qu’il lui faut demander de grâces et d’assistances, non-seulement pour lire le saint Évangile, mais pour l’imprimer en notre âme et l’exprimer en nos pratiques, comme fit le glorieux saint Luc, qui a imprimé et exprimé Jésus et Marie par sa plume et par son pinceau, par la théorie et par la pratique !

Finissons ce mois en congratulant la sacrée Vierge des joies que son Cœur maternel recevait apprenant les progrès de l’Église naissante. Le Sauveur a dit que les Anges dans le ciel font de grandes réjouissances sur la conversion du pécheur. Que devait faire votre Cœur, ô sacrée Vierge, quand vous voyiez convertir les cinq mille personnes en un seul sermon de saint Pierre ?... Les Apôtres prêchaient et Marie priait, voilà d’où venait cette merveilleuse conversion des peuples et des provinces. Enseignez-moi, Sainte Vierge, comment je dois prier pour la propagation de la foi et pour le salut des âmes, pour les prédicateurs et les pasteurs de la très-sainte Église. C’est une pratique que saint François de Sales a grandement recommandée à ses filles, assurant même que souvent les prédicateurs disent de bonnes choses que de saintes âmes leur ont impétrées de Dieu, et qu’ainsi elles font souvent plus de fruit en priant que les prédicateurs en parlant, et que, n’en sachant rien elles-mêmes, elles ne sont pas exposées à la vanité.

Les dévots de Marie font aujourd’hui la fête de son Sacré-Cœur [Du vivant même de la Mère de Chaugy, le P. Eudes avait fait approuver par plusieurs Évêques l’Office du saint Cœur de Marie qu’il avait composé, et la fête s’en faisait en quelques diocèses, notamment dans celui d’Autun.] ; il y a des livres entiers imprimés pour cette dévotion et des offices composés pour cela. « Ô Sacré-Cœur de Marie, dit saint François de Sales, quel cœur vous bénira assez dévotement ! Si la femme de l’Évangile criait dans les places publiques où Jésus passait : Béni soit le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont allaité ! ne devons-nous pas donner des bénédictions perpétuelles au Sacré-Cœur de Marie, qui a tant aimé Jésus ? » Ô Vierge glorieuse, vous avez reçu le Verbe en votre Cœur avant que de le recevoir en votre sein, et vous êtes plus heureuse de l’avoir aimé souverainement et sans intermission que de l’avoir porté corporellement dans vos entrailles et entre vos bras, et c’est ce que Notre-Seigneur nous voulait signifier quand il dit : Mais plutôt bienheureux ceux qui font la Volonté de mon Père qui est aux cieux, c’est-à-dire qui n’ont qu’un même esprit et un même cœur avec Dieu ! Marie n’avait qu’un même Cœur et qu’un même esprit avec le Père éternel et son Fils unique Jésus, le seul objet de ses éternelles complaisances.

Unissez aujourd’hui votre cœur au Cœur de Marie, et pour cela travaillez à purifier ce cœur de péchés, d’imperfections et de propre intérêt.

Louis, comte de Sales, frère bien-aimé de notre Père saint François, avait l’habitude de destiner le deuxième jour de juin à honorer les yeux de la très-sainte Vierge Marie. Il avait appris cette dévotion de son saint frère, qui lui disait qu’il n’y avait pas de meilleur remède pour détourner nos yeux des vanités du monde, que de porter sur soi une image de la sacrée Vierge, d’en avoir dans sa maison et oratoire, et enfin de jeter souvent les yeux intérieurs de l’imagination sur les yeux de Marie pour les saluer dévotement. Voici, mot à mot, l’oraison qu’il nous donna et qu’il avait reçue de son saint frère pour ce sujet, écrite de sa main ; elle est intitulée : « Oraison d’hyperdulie aux yeux de la très-sainte Vierge Marie, Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Veneror speciosissimos oculos tuos, qui sponsum advolare fecerunt, quorum virtus et efficacia tanta existit ut nequeant eternaliter mori, quoscumque volueris ex ipsis misericorditer intueri. » Cette petite prière était fort affectionnée par notre Père saint François de Sales ; suppliez-le qu’il vous en impètre la véritable dévotion, et, vous unissant à l’intention de ce grand Saint, saluez mille et mille fois le jour les yeux de la très-sainte Vierge. Si les yeux de cette Colombe, qui ont tant et tant de fois été loués par le divin Époux, se tournent favorablement de notre côté, nous sommes trop heureux. Disons donc souvent avec toute l’Église : Eia ergo advocata nostra illos tuos misericordes oculos ad nos converte.

Destinez ce jour à honorer les oreilles de la sacrée Vierge. Le divin Époux, dit notre Père saint François de Sales, a pris plaisir de mettre des pendants aux oreilles de cette Épouse : c’est la clameur des pauvres et des nécessiteux. « Ô Vierge Sainte ! qui avez tant de fois ouï la voix de vote Époux bien-aimé, de votre cher Jésus ; qui avez ouï tous ses cris enfantins, qui avez entendu durant tant d’années ce divin Verbe exprimer, en vous et devant vous, les paroles de vie ; qui avez ouï ses dernières paroles en la Croix, où il vous a rendu la Mère de tous ses enfants, inclinez aujourd’hui votre oreille favorable de mon côté. Hélas ! ne la fermez point aux cris continuels de mon cœur dans toutes mes nécessités. Que ma clameur et mon gémissement viennent à vous, sacrée Vierge, afin que je sois secourue ! »