L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge ayant son Cœur dans le ciel avec Jésus son trésor. Admirez les joies de ce Cœur Sacré, voyant de ses yeux intérieurs les grandeurs de la sacré humanité de son Fils. Les vingt-quatre vieillards posent leurs couronnes aux pieds de cet Agneau ; les mille milliers et les centaines de milliers d’Anges l’honorent, comme parle l’Écriture. Plusieurs Saints croient qu’elle était plusieurs fois, le jour et la nuit, portée par les Anges en corps et en âme dans la région céleste, pour entendre les louanges que le Père et le Saint-Esprit donnaient à l’Homme-Dieu d’avoir si amoureusement et si fidèlement accompli sa mission, et les adorations que les Anges et les Saints faisaient à la sainte humanité de ce Roi victorieux, qui a sauvé son peuple. Oui, sacrée Vierge ! je le dis derechef, puisque là où est notre trésor là est notre cœur, je ne mets point en doute que votre Cœur Sacré ne soit au ciel à la dextre du Père céleste, où est Jésus, l’unique trésor de votre âme.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge Marie, demeurant après l’Ascension dans la chambre de communauté avec les fidèles, au nombre de six vingts, pour leur apprendre la persévérance en l’oraison. Marie ne se trouve point dans les lieux où les sens ont pu prendre quelque part et quelque plaisir ; mais elle n’est jamais absente des lieux où il se rencontre quelques mortifications et sujétions, témoin la Crèche, la Croix, le Cénacle. Marie a été Régente et Maîtresse en son Fils, par son Fils et avec son Fils, lorsqu’il était sur la terre ; mais, dans ce temps où nous le considérons au ciel, elle est heureusement retirée avec les disciples dans la solitude du cénacle, pour, en qualité d’une humble et soigneuse directrice, enseigner aux fidèles, et par son exemple et par ses entretiens, à adorer Dieu en esprit et en vérité, et, pour se disposer dans la ferveur et la persévérance en la sainte oraison, à la réception du Saint-Esprit, qui ne repose que sur les humbles, les débonnaires, les unis par charité mutuelle. Apprenez-moi, sacrée Vierge, les vertus de Communauté.

Honorez aujourd’hui l’humilité de Marie, rangée par le saint Évangéliste au dernier rang dans la communauté des fidèles, comme si elle eût dit : « J’ai régné en mon Fils ; à présent, je suis une Mère déposée. » Ô Sainte Vierge ! que le rang où votre évangéliste, saint Luc, vous place, me sert d’une grande leçon ! Vous êtes la dernière en rang, mais la première en dignité et incomparable mérite. Je veux donc vous honorer aujourd’hui dans ce rang précieux que Jésus a voulu tenir au monde, où il se nommait le dernier de tous les hommes, un ver de terre et le rebut du peuple. Quelle place me doit jamais être plus considérable que celle que Jésus et Marie ont voulu tenir parmi les mortels ?

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge dans son admirable modestie et silence, écoutant le premier sermon de saint Pierre pour l’élection de saint Mathias, et prenant plaisir à voir établir l’ordre de l’Église naissante. Selon le droit naturel et civil, c’était à Marie, Mère du Sauveur, de parler et d’instruire ; mais, selon la perfection de la grâce, de l’esprit et de l’exemple, Marie se taisait, et, par son silence, honorait le silence de trente ans de l’Homme-Dieu, pour nous apprendre avec quelle douce révérence et humilité nous devons nous taire en mille occasions, où il semble, selon la raison humaine et même le bon sens, que nous pourrions parler et dire notre sentiment. Ce fut aussi pour nous donner l’exemple de laisser au Saint-Esprit le choix des officiers apostoliques de la très-sainte Église que la sacrée Vierge se tut en l’élection de saint Mathias.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge usant de la même persévérance en la prière, et se conformant aux mêmes dispositions extérieures que la communauté des fidèles pour recevoir le Saint-Esprit avec eux tous. Admirable leçon dans deux états de Marie : pour la rendre Mère de Dieu, le Saint-Esprit la cherche solitaire en Nazareth, et, pour la rendre Mère de l’Église, il descend à elle au milieu de tous les fidèles, afin de nous apprendre que l’âme reçoit des grâces secrètes dans le secret et des grâces de communauté dans le général ; celles-ci se peuvent nommer l’esprit de la Communauté.

Honorez aujourd’hui Marie recevant du Saint-Esprit, son Époux, une grâce d’épouse, je veux dire la grâce d’une si spéciale solitude, qu’après la Pentecôte elle se rendit quasi aussi invisible que son divin Fils, qui la laissait dans son corps invisible et mystique, comme l’âme qui donne vigueur, mouvement et action à nos corps matériels, sans être vue : l’action est visible et le ressort est caché. Les Apôtres reçurent au saint jour de la Pentecôte des grâces visibles, et Marie des grâces invisibles ; les Apôtres, la grâce et le don des langues et le pouvoir de faire des miracles, Marie une grâce de silence et d’amour inexplicable ; non seulement elle possédait les dons du Saint-Esprit, mais le Donateur. Hélas ! qui est-ce qui sait sa grâce ? Qui est-ce qui opère en esprit et en vérité selon sa grâce, sinon Marie, Mère de Grâce et de Miséricorde ?

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge, qui demeura au lieu et dans la contrée où son Fils la laissa quand il quitta la terre. Elle pouvait, comme Reine et Dame universelle du monde, demander à son Fils de rester en solitude dans le Paradis terrestre ou dans les îles Fortunées ; mais elle ne voulait rien faire d’extraordinaire ; elle demeura simplement en Judée, parmi ceux qui avaient crucifié son Fils et desquels elle ne pouvait éviter de recevoir plusieurs mépris et reproches. Ô Marie ! si vous aviez donné le moindre avis aux trois rois d’Orient qui vous rendirent tant d’honneurs dans l’étable de Bethléem, ils se seraient bien honorés de vous avoir pour vous faire régner dans leurs provinces, comme la digne Mère de l’Homme-Dieu ! Vous m’apprenez bien que le séjour de la terre doit être indifférent à l’âme qui, étant vraiment unie à Jésus-Christ, a dans le ciel, avec lui et en lui, tout son amour et toutes ses prétentions. Aussi nous voyons que vos dévots vous placent sur des roches, au milieu des bois, des champs, des bourgs, des villes, parce que partout il faut trouver, invoquer et honorer Marie.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge dans la conversation qu’elle eut quelquefois avec les saints Apôtres après l’Ascension de Notre-Seigneur, avant qu’ils allassent se disperser par les diverses parties de l’univers pour y porter la lumière évangélique. Je crois, sainte Mère de Dieu, que pas un n’eut le courage de partir sans prendre votre bénédiction, vos instructions et un saint encouragement au martyre. Vous saviez bien qu’ils allaient comme des brebis au milieu des loups, qui, n’ayant pas épargné l’Agneau de Dieu, ne cherchaient qu’à les dévorer. Je crois, très-sainte Vierge, que vous disiez à tous ce que vous dites présentement à mon âme : Faites et dites tout ce que Jésus mon Fils vous a ordonné et enseigné. Ô mes chers enfants, allez et dites ce que vous avez vu et appris de notre Jésus !

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge comme la plus excellente copie de Jésus-Christ. Cet Homme-Dieu, durant sa vie mortelle, ne perdit jamais de vue sa Croix ; car, depuis l’Incarnation jusqu’à la consommation de notre Rédemption, il a souffert pour nous ce qui doit être appelé la Croix perpétuelle du Sauveur. Sa sainte Mère a de même voulu couler toute sa vie dans la souffrance ; durant la vie mortelle de son adorable Fils, elle a ressenti toutes ses peines, et, après son Ascension glorieuse, elle a ressenti toutes les fatigues de l’Église naissante, de sorte qu’elle pouvait dire aux tyrans : « Pourquoi me persécutez-vous ? » Ô Croix perpétuelle, ô glaive perpétuel de Marie ! soyez la consolation de mon âme affligée et le soutien de mon faible courage !

Honorez aujourd’hui le dénûment de la sacrée Vierge après l’Ascension de Notre-Seigneur et la séparation des Apôtres, qui, par ordre de Jésus, se dispersèrent à la conquête de l’univers. Marie demeura solitaire et fit un nouveau sacrifice de tous ces enfants à Dieu, qui la laissaient seule et parmi des ennemis du Seigneur ou de nouveaux convertis, dans lesquels, sans doute, selon la raison naturelle, cette sainte Dame ne pouvait prendre une vraie confiance comme avec ses premiers enfants. Par conséquent, il devait lui sembler se trouver dans un monde nouveau ; mais cette charitable Mère, contente de Dieu seul, demeura seule et m’apprit, par ce dénûment, qu’il faut laisser aller ce qu’on chérit le plus selon la grâce servir à la gloire de Dieu, quoi que nous puissent coûter ces dures absences et cruelles séparations. Ainsi, mon âme, à l’imitation de la sacrée Vierge, demeurons dénuée de tout et toute seule, pour être possédée et possédante, dans cette solitude, de notre seul et unique tout.